
Dans le cadre de la transition énergétique, la France développe de manière accélérée des centrales solaires photovoltaïques pour répondre à ses objectifs climatiques et réduire la dépendance aux énergies fossiles. Cependant, cette expansion rapide entraîne des défis considérables en matière de préservation de la biodiversité, notamment concernant les espèces protégées. Le Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN), en tant qu’autorité consultative clé, joue un rôle essentiel dans l’évaluation des projets d’aménagements solaires, en particulier lorsqu’une dérogation pour la destruction d’espèces protégées (DDEP) est nécessaire. Cet article analyse avec précision le processus des dérogations, les avis du CNPN, ainsi que les bonnes pratiques spécifiques à adopter pour concilier les impératifs de transition énergétique et la conservation des écosystèmes naturels.
Cadre juridique des dérogations pour destruction d'espèces protégées
Les projets photovoltaïques sont soumis aux dispositions de l'article L. 411-2 du Code de l’environnement, qui interdit strictement la destruction, la perturbation ou la dégradation des habitats des espèces protégées. Toutefois, il existe une possibilité de dérogation lorsque trois conditions impératives sont réunies :
Absence de solution alternative satisfaisante : Le maître d'ouvrage doit démontrer qu’il n’existe aucune autre solution moins dommageable pour l’environnement, et que toutes les options ont été étudiées de manière approfondie, en incluant notamment les surfaces artificielles disponibles.
Raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) : Le projet doit apporter une contribution significative à un objectif public tel que la lutte contre le changement climatique, justifiant ainsi les impacts environnementaux résiduels.
Maintien de l’état de conservation favorable des espèces concernées : Le projet ne doit pas altérer les chances de survie à long terme des populations d’espèces protégées dans leur aire de répartition naturelle. Cela nécessite la mise en œuvre de mesures d’atténuation et de compensation écologiques robustes.
Introduction d'une présomption d'intérêt public majeur (RIIPM) pour faciliter le déploiement de ces projets.
Cette mesure vise à accélérer les procédures administratives, en particulier l'obtention de dérogations pour la destruction d'espèces protégées, tout en renforçant l'acceptabilité sociale des projets grâce à des mécanismes de partage des revenus avec les collectivités locales accueillant ces infrastructures.
Présomption d'Intérêt Public Majeur
L’article L. 211-2-1 du Code de l’énergie, introduit par la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, prévoit que certains projets de production d’énergies renouvelables ou de stockage doivent être réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM). Cette reconnaissance est l'une des conditions nécessaires pour l’obtention d’une dérogation espèces protégées fondée sur l’article L. 411-2, 4° du Code de l’environnement.
L'article R. 211-1 du Code de l’énergie précise les conditions techniques à remplir pour qu’un projet photovoltaïque sur le territoire métropolitain continental puisse bénéficier de la présomption d’intérêt public majeur :
La puissance prévisionnelle totale de l'installation doit être supérieure ou égale à 2,5 mégawatts crête.
La puissance totale du parc photovoltaïque raccordé sur ce territoire, au moment de la demande de dérogation, doit être inférieure à l’objectif maximal de puissance fixé par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).
Ces critères visent à s'assurer que les projets d'énergie renouvelable contribuent effectivement aux objectifs nationaux tout en respectant un cadre juridique strict en matière de protection de l'environnement et de biodiversité.
Le rôle central du CNPN dans l’évaluation des dérogations
Le CNPN a pour mission d’émettre des avis sur les projets sollicitant des dérogations pour espèces protégées. Ses avis, bien que consultatifs, sont cruciaux pour éclairer les décisions des autorités compétentes (préfets, ministères). Ces avis reposent sur une analyse scientifique rigoureuse des impacts des projets sur la biodiversité et des mesures de mitigation proposées. Le CNPN adopte une approche particulièrement stricte concernant les projets photovoltaïques, soulignant souvent que les porteurs de projets ne justifient pas suffisamment l'absence d'alternatives moins impactantes et que les mesures de compensation sont souvent inadéquates ou insuffisamment détaillées.
Problématiques dans l’obtention des dérogations
Selon l'avis du CNPN du 19 juin 2024 (https://www.avis-biodiversite.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2024-16_avis_deploiement-photovoltaique-impacts-biodiversite_cnpn_du_19_06_2024_vf.pdf) sur le déploiement du photovoltaïque et ses impacts sur la biodiversité, plusieurs points spécifiques ressortent concernant les difficultés liées à l’obtention de ces dérogations :
Insuffisance dans l'exploration des solutions alternatives : Le CNPN reproche aux promoteurs de projets de ne pas suffisamment étudier les options alternatives qui auraient un impact moindre sur les écosystèmes. Il recommande d’examiner minutieusement la faisabilité de l’installation des centrales sur des toits, parkings, friches industrielles ou d'autres surfaces artificialisées avant d'envisager des projets sur des terres naturelles ou semi-naturelles.
Mesures d’Éviter, Réduire, Compenser (ERC) sous-dimensionnées : Le CNPN insiste sur le fait que les propositions actuelles d’atténuation des impacts écologiques (éviter, réduire) et de compensation (reconstruction d’habitats, suivi de la biodiversité) sont souvent insuffisantes et manquent d’ambition. Il est essentiel que les mesures compensatoires soient proportionnées aux pertes de biodiversité engendrées et qu’elles soient suivies et contrôlées sur le long terme pour en garantir l’efficacité.
Bonnes pratiques issues de l’avis du CNPN
Dans son avis le CNPN fait 20 recommandations pour améliorer l'acceptabilité des centrales solaires.
1. Interdire les centrales au sol dans les espaces naturels protégés
Le CNPN recommande d'interdire les centrales photovoltaïques au sol dans les aires protégées, les zones humides, et les espaces naturels ou semi-naturels en raison de leurs impacts irréversibles sur la biodiversité.
Le CNPN considère que l’autorisation de projets de centrales photovoltaïques au sol sur des espaces naturels ou semi-naturels ne devrait être accordée que si le potentiel des surfaces artificialisées a été pleinement exploité. En d'autres termes, tant que les espaces artificiels tels que les toits, parkings, et friches industrielles ne sont pas saturés, les projets ne doivent pas être déployés dans des milieux naturels ou semi-naturels.
Pour justifier l'absence de solutions alternatives dans le cadre d'un projet de centrale photovoltaïque sur des espaces naturels ou semi-naturels, il serait nécessaire de démontrer que les surfaces artificialisées disponibles sont déjà saturées. Cette démonstration suppose une analyse approfondie qui repose sur plusieurs facteurs clés :
Analyse du foncier : Il faut prouver que les terrains artificialisés (toits, parkings, friches industrielles, etc.) ont été identifiés et exploités au maximum de leur potentiel. Cela nécessite une analyse détaillée du territoire communal ou tintercommunal, pour montrer que ces espaces sont effectivement indisponibles ou inaccessibles pour le développement photovoltaïque.
Capacité de déploiement : Il est également indispensable d’évaluer la capacité technique de déployer des panneaux solaires sur les espaces artificialisés restants. Des études doivent démontrer les limites techniques( les contraintes d'infrastructure des parkings) qui empêchent l'utilisation de ces sites pour l'installation de centrales solaires.
Intégration paysagère : La saturation des espaces artificiels doit aussi être évaluée en fonction de leur intégration dans le paysage. Certains sites peuvent être inadaptés à cause de contraintes esthétiques, architecturales ou patrimoniales, notamment dans les zones protégées ou près de monuments historiques, ce qui limiterait leur potentiel d'utilisation pour les installations solaires.
2. Réguler les sites dits « dégradés »
De nombreux sites dégradés sont en réalité riches en biodiversité. Le CNPN propose de mieux définir cette notion et de restreindre l’installation de centrales aux surfaces artificialisées uniquement.
3. Encadrer le développement de l’agrivoltaïsme
L’agrivoltaïsme doit être en cohérence avec les principes d’agroécologie. Il ne doit pas entraîner la destruction de haies, prairies, ou espaces naturels à haute valeur écologique.
4. Inventorier les plans d’eau adaptés au photovoltaïque flottant
Le CNPN propose un inventaire des plans d’eau potentiellement compatibles avec des projets de photovoltaïque flottant, tout en évitant les zones cruciales pour la biodiversité aquatique.
5. Prioriser l’équipement des toitures
Le CNPN recommande de fixer des objectifs ambitieux pour le déploiement de panneaux solaires sur les toitures des bâtiments commerciaux, industriels et publics, afin de minimiser l’utilisation de terres naturelles.
6. Objectif de 15 GW d’énergie solaire sur les parkings d’ici 2030
Les parkings doivent être systématiquement équipés de panneaux solaires, avec un objectif de 15 GW d’ici 2030, en allant au-delà du seuil de 50 % de couverture prévu par la loi APER.
7. Favoriser les installations dans les zones densément peuplées
Il est recommandé de concentrer le déploiement photovoltaïque dans les zones urbaines pour limiter l'impact environnemental et réduire les pertes liées au transport d’énergie.
8. Modifier les critères de notation dans les appels d'offres publics
Le CNPN souhaite que les critères environnementaux soient renforcés dans les appels d’offres de la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE), en accordant plus de poids aux impacts écologiques.
9. Soumettre les centrales au sol à la réglementation des ICPE
Le CNPN recommande de soumettre les centrales photovoltaïques au sol de plus de 1 MW à la réglementation des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), afin de mieux encadrer leurs impacts environnementaux.
10. Améliorer le processus d'instruction des dossiers
Face à l'augmentation du nombre de projets, il est nécessaire de renforcer les capacités d’instruction des administrations pour garantir une évaluation adéquate.
11. Clarifier la procédure de dérogation espèces protégées
Le CNPN recommande de clarifier les conditions de demande de dérogation pour espèces protégées, afin d'assurer que les projets respectent les règles de protection de la biodiversité.
12. Améliorer l’information du public
Il est crucial de faciliter l’accès du public aux informations concernant les projets photovoltaïques, notamment en rendant les avis du CNPN et des CSRPN disponibles lors des enquêtes publiques.
13. Adopter les meilleures techniques disponibles
Le CNPN recommande l’adoption des meilleures techniques d’éco-voltaïsme, incluant des pratiques minimisant l’impact sur les sols et la biodiversité.
14. Planifier les compensations des impacts des centrales au sol
Il est proposé de mieux planifier les compensations écologiques pour les projets de centrales photovoltaïques, en s’appuyant sur des Sites Naturels de Compensation, de Restauration et de Renaturation (SNCRR).
15. Renforcer la réglementation en matière de compensation écologique
Le CNPN recommande de renforcer les contrôles sur l’efficacité des mesures compensatoires et de mettre en place des mécanismes correctifs si ces mesures ne sont pas suffisantes.
16. Améliorer le suivi des centrales existantes
Un suivi plus rigoureux des centrales photovoltaïques déjà existantes doit être mis en place, avec des protocoles standardisés pour mesurer leur impact sur la biodiversité.
17. Suivre la mortalité des espèces dans les centrales photovoltaïques
Le CNPN recommande de surveiller les mortalités potentielles des espèces animales, notamment les oiseaux et les insectes, dans un échantillon représentatif de centrales solaires au sol.
18. Développer des actions de recherche
Il est nécessaire d'intensifier la recherche sur les impacts des centrales photovoltaïques au sol et flottantes sur les fonctions écologiques et de développer des solutions pour restaurer les habitats affectés.
19. Relocaliser la production des panneaux sans détruire les écosystèmes
Le CNPN encourage la relocalisation de la production des panneaux photovoltaïques en Europe, mais cela doit se faire sans compromettre les normes environnementales et les objectifs de protection des écosystèmes.
20. Soutenir les technologies émergentes
Il est recommandé de soutenir les technologies prometteuses comme le photovoltaïque organique et les cellules à pérovskite, qui pourraient réduire les impacts environnementaux tout en augmentant le rendement énergétique.
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